Qu’est-ce qu’un écrivain ? Pour ceux qui n’ont jamais pris le temps d’y réfléchir…

Un écrivain qui écrit avec l’idée la plus intime d’être lu, on ne saurait même parler ici d’« intention » — c’est pour cela qu’un bon nombre de ces bouquins de l’ère contemporaine seraient bons à jeter au feu pour un autodafé ; eut-il des doigts de fée, cet écrivain s’écarte de sa tâche ; disons plutôt qu’il s’attache ensemble les doigts pour écrire. Fatalement, sa main devient gauche, maudite, car le geste et le résultat eux-mêmes sont corrompus. Il utilise toujours sa plume intime ; on l’appelle ainsi « plumitif », par mépris pour la sensibilité affective qui découle de ce qu’il expose de lui-même, en raison de son oisiveté présumée aussi ou du caractère dilettante qui caractérise son investissement dans son métier ; hérésies suprêmes dans un monde (il se reconnaîtra) où autorité dépend du pouvoir économique. Seuls deux cas de figure permettent d’être pris au sérieux pour ses qualités, mais l’écrivain n’a accès à aucune de ces possibilités : être riche ou demeurer mort.

La publication ne peut être qu’accidentelle, il l’affirme : le désir ou le délire des circonstances. Il n’y a pas d’acte de publier pour un écrivain, cela n’a été inventé que pour l’auteur et en même temps que lui ; le grand malentendu résulte de ce que le commun confond et ne sait jamais faire la distinction — faute d’intérêt profond, sans doute — entre l’« auteur », qui confère à une œuvre son identité auctoriale, et l’« écrivain » qui est sa version antérieure plus essentielle, intime, indépendante ; plus pure, s’il lui faut oser dire. C’est aussi la raison pour laquelle se trouvent des éditeurs. La publication n’appartient pas à l’écrivain. De cela, il a toujours eu la plus profonde et intime conviction, en lui, aussi loin que remonte son souvenir primordial de lui-même et, par conséquent, le flux lucide magique et inspiré qui l’a conduit à l’office d’écrivain.

Il est grand temps de lire Le Dernier Homme de Mary Shelley, œuvre romantique, écrite à l’orée de la révolution industrielle, à cheval entre deux mondes dont elle exprime malgré elle la mortelle contradiction, le rejet négatif, la déchirure définitive ; celui qui pourrait être appelé le Pays des Écrivains et des Conteurs Légendaires et l’autre qui répond au nom de Civilisation des Auteurs fortuits nés et des Éditeurs fortunés. Le Rubicon les sépare. Ce fleuve coule cependant dans leurs veines, fruit de leur scission qui a entrainé la sécession contemporaine entre, d’un côté, ce qui fut l’élan créatif à l’état pur, orgueil du créateur, et de l’autre la vanité artistique moderne, à la fois cause et conséquence d’une extrême conscience de soi à laquelle se suspend comme une sangsue toute une industrie mécanique. L’innocence de la créativité, l’insouciance du rêve, ont été volés à jamais, semble-t-il, violés. C’est une des nombreuses causes modernes, mais beaucoup plus silencieuse, à laquelle il convient de se vouer, n’est-ce pas ? Il n’y a que l’esprit qui puisse ressouder cette fracture historique dans les termes à la lentille conique de sa focale.

Excepté Tolkien, Woolf, Proust au XXe siècle — pour des raisons qu’il conviendrait d’examiner individuellement et que tout un chacun est très capable d’identifier par lui-même — et quelques ouvrages sporadiques miraculeusement tirés des vestiges du naufrage du royaume perdu, grâce à l’ingéniosité individuelle ou les caprices de la génétique sautant par bond des bancs de générations successives, selon les lois de l’affiliation : ce constat préside à la parution de nombreuses œuvres de l’esprit modernes.

L’écriture traverse une crise de mue dans laquelle elle se remodèle certainement. Mais certainement pas pour le cinéma. Cela est exclu. Une véritable prose, irriguant de tous ses précieux canaux une histoire-fleuve, ne peut être aussi facilement transmuée qu’on tend manifestement à le croire en écriture scénaristique.

Heureusement, la Poésie échappe à la confusion ! Un poète demeure un poète à notre époque, même s’il accumule derrière lui, il est vrai, des connotations plus lourdes que savantes au gré des saisons, ce titre conserve un semblant de sens qui lui confère autorité, légitimité, d’où une certaine noblesse, que certains trouveront surannée, mais peu importe. Noblesse. Quoiqu’il soit, chacun sait véritablement au fond de lui. Et même s’il rit… Même s’il lève les yeux au ciel à la seule évocation de ce nom… Le mot « poète »  fait subitement sens ; intuitivement. On le craint comme on le révère, on se moque de lui comme on l’adore, d’un seul et même geste. Ainsi la poésie d’Henri Thomas et celle de Dickinson, les vers de Rouzeau, Houellebecq, Whitman, Yeats et Pouchkine se rappellent à la magie d’une seule lueur bien distincte qui forme ensemble dans la galaxie littéraire et qui porte le nom de « Poésie », constellation du Poète, et qui est un repère, comme Venus en terres marines sous les voûtes australes. De là Botticelli, La Naissance… La Beauté, de nacre, en re-création et contre-réaction perpétuelle.

Perle.

Ce n’est rien.

Époque actuelle.

Goutte.

Qu’une épopée du désert dans l’odyssée de la littérature…

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