Affaire Findus, un Cheval de Troie aux portes de nos supermarchés

Il y a quelques jours, c’est un plat de lasagne qui provoquait l’écœurement, l’indignation et l’effroi
général. Un produit surgelé qui a fait parcourir un terrible frisson le long de l’échine de l’Europe. Ce
sont pourtant nos papilles que ce fleuron de la gastronomie italienne émoustille habituellement. Et si le véritable secret de fabrication mijote encore précieusement dans les carnets de recette des pointures en toque de la « Grande Botte », les magnats de la food-industry ne désespèrent pas : à force de contrefaçons et d’expérimentations douteuses ils finiront sans doute, un jour, par trouver la bonne formule.

Mais, la première question qui se pose est la suivante : comment une telle duperie a-t-elle pu
avoir lieu pendant plusieurs mois au nez et à la barbe des consommateurs ? Il semblerait que le seul
élément de réponse plausible se situe dans la savante alliance des aliments qui composent un plat de
lasagne. D’abord, de si fines couches de pâtes que l’on peut les sentir flotter, tourbillonner – tels des
rubans de soie fendant l’air avec grâce et légèreté – puis, fondre contre les parois du palais. Puis, une
douce sauce tomate gorgée de senteurs de thym, de basilic et de romarin, qui vous transporte dans les campagnes de la Calabre. Une voluptueuse béchamel, onctueuse à souhait, lien entre Ciel et Terre.
Enfin, un fameux hachis de viande de bœuf issu des plus nobles élevages en pâture sur les prairies
éternelles de l’Île du Soleil.

C’est vrai, après tout, comment ne pas se jeter dans la gueule du loup avec appétit ?

Seulement, voilà. Voilà, deux mille huit cents ans que l’Histoire se répète.
Deux mille huit cents ans depuis que le chant d’Homère menât les Troyens au massacre.
Des Troyens assiégés, imprudemment poussés hors de leurs retranchements, par l’irrépressible
attirance d’un leurre dressé aux portes de leur désespoir.
Des millénaires que l’Homme escroque l’Homme, dissimulé dans un cheval de bois.
Des millénaires que la nature humaine suffoque, couchée sur le flanc, dans une marre de
tromperie.
Une duperie, une falsification, une trahison – appelez ce cheval de Troie comme vous le voudrez.
Une chose est sûre : ce hachis de viande surgelé à la sauce industrielle laissera pendant longtemps
encore un goût amer dans la bouche des consommateurs. Et que dire du viol sans scrupule de notre
sacro-saint label « Origine France », si ce n’est que nul n’a jamais vu les frontières de notre territoire
hexagonal être repoussées jusqu’en Roumanie.

Mais, au-delà de l’indignation – au-delà même du haut-le-coeur que peut éprouver le
consommateur qui se rend compte qu’il a été si grossièrement abusé et méprisé – c’est la vaste
incompétence de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments qui fait monter l’opinion
publique sur ses grands chevaux.
Dans cette gigantesque matoiserie, la thèse de l’acte prémédité ne laisse pas l’ombre d’un doute.
Cependant, à la lueur des premiers éléments révélés par l’enquête sanitaire ayant pour mission de faire le jour sur l’origine de ce réseau frauduleux, se dévoilent, unes à unes, les mailles d’un filet dont
l’envergure ne correspond pas à celui d’une petite contrebande mais, plutôt, à ce qui pourrait s’avérer être une vaste conspiration. En effet, pas moins de sept pays membres de l’Union Européenne – tels que la France, la Roumanie, la Suède, la Grande-Bretagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et Chypre (pour ne pas les citer) – seraient impliqués dans ce trafic de viande chevaline. Alors, je vous le demande :
pourrait-il exister, sur la terre sacrée du libre-échange, plus triste symbole de l’immense tumeur qui
prolifère ?
Car la mondialisation est un cancer. Une tumeur invisible, pourtant déjà à l’origine d’une
épidémie de vache folle. Un mal tellement développé qu’il est désormais impossible d’en identifier la
souche. C’est, en tout cas, ce qu’illustre cette affaire : le tissu de mensonge est désormais si ramifié que nul n’est réellement capable de remonter jusqu’à ses racines, et de confondre les personnes qui ont planté les germes de la gangrène. A l’heure où le yacht capitaliste sur lequel nous naviguons tangue à en perdre la raison, nous continuons de traiter nos ressources naturelles comme une vulgaire monnaie d’échange. En atteste l’itinéraire de transit de cette viande de cheval, similaire à celui d’un réseau de blanchiment d’argent – avec notamment des escales au Luxembourg, à Chypre et au Pays-Bas – comme s’il s’était agi de brouiller les pistes pour dissimuler les accablantes preuves d’une telle machinerie.
La suite n’est qu’une succession de causes et d’effets : l’effondrement de la forteresse de l’industrie
agroalimentaire Findus entraîne dans sa chute le garde-manger de la Grande Distribution française. Des enseignes telles que U, Picard ou Carrefour se sont, en effet, empressées de retirer de la vente d’autres produits surgelés également susceptibles de contenir de la viande de cheval. Ce soudain sursaut, cette brève secousse de dignité, aura sans doute été impulsée par l’énergie du désespoir. Un dernier baroude d’honneur avant que l’avalanche des mises en accusation ne les emporte, à leur tour…

Alors, avec courage, tous ont pointé du doigt l’entreprise de préparation des produits surgelés :
Comigel. Cette dernière est, en effet, le véritable dénominateur commun de ces grands noms de la
restauration – qui n’hésitent pourtant pas à promouvoir l’exception leurs savoirs-faire, véritables
emblèmes de leur marque de fabrique. Une question reste donc en suspens : comment une si grande mascarade aurait-elle pu être rendue possible sans l’accord tacite des multiples intermédiaires et sous-traitants qui ont eu ces produits entre leurs mains tout au long du processus de fabrication ?
Un cheval de Troie, donc. Voilà la réponse apportée, par une armée de mercenaires sans pitié, à
des bouches affamées.
A l’heure où les partisans de l’altermondialisme s’emploient farouchement à démontrer que les
ressources de notre écosystème s’amenuisent, la « Chevalgate » – comme certains s’amusent à la
nommer – laisse un fort arrière-goût de gâchis. Surtout, elle demeurera comme un symbole du mépris avec lequel nous traitons notre environnement et les êtres vivants qui le composent ; car c’est bien sur l’autel du profit que ces chevaux ont été abattus.
Alors, comment ne pas se sentir désarmé ? Comment ne pas définitivement baisser les bras et
accepter de fermer les yeux sur l’horreur du monde ? Il y a bien longtemps, le philosophe Pascal déclarait :
« L’Homme n’est qu’un roseau, le plus faible des roseaux, mais un roseau pensant. ». Mais, une fois
encore, l’être humain, cet insignifiant roseau en végétation dans l’infinie contrée de l’univers, se sera
employé à mettre sa matière grise – joyau le plus précieux que ne lui est jamais confié la nature – au
service de la félonie, de la traîtrise et de la fourberie. Car, ne l’oublions jamais, du bois de ce roseau peut aussi naître le plus nocif Cheval de Troie – pour toujours, allégorie de l’instinct de destruction de l’Homme envers sa propre espèce.

Pour être heureux, à chacun, donc, de cultiver son jardin. A chacun, sans doute également, de
changer ses habitudes de consommation en privilégiant davantage la fiabilité des biens de
consommation issus du commerce de proximité.
Le combat de l’artisanat contre l’industrie – le pot de terre contre le pot de fer – tel est le cheval de
bataille de l’Homme du XXIe siècle.

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